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Je travaillais à l’époque dans un centre équestre du côté de Nevers.

Stagiaire fille dans un monde à l’époque presqu’exclusivement masculin, je me bandais la poitrine pour faire oublier ma féminité face à certains clients qui avaient une fâcheuse tendance à confondre palefrenière et gheisha. Je cachais mes cheveux longs sous une casquette en jean, portais des bottes en caoutchouc maculées de fumier, dissimulais mon corps sous des pulls informes et des pantalons douteux. Le prototype même de la séduction !

J’étais responsable d’un piquet de douze chevaux, dont Foulkan.

Foulkan le bien nommé, que je devais régulièrement ramener au bercail, à grand renfort d’appels et de grincements de seaux garnis d’avoine.

Il n’avait pas son pareil, ce gros animal, pour pousser la porte de son box d’un coup d’épaule dès qu’il entendait le cliquetis du loquet.

Il fallait alors faire un bond de côté sinon il vous passait sur le corps sans même vous remarquer. Ensuite, résignée mais indemne, il fallait le convaincre de revenir, ce qui n’était pas une mince affaire. Un jour, je dus le ramener de la forêt de l’autre côté de la route, où il avait pris une chouette récréation. Mais comme certains s’obstinaient à laisser les portes ouvertes….

Foulkan était un gros cob croisé de demi-trait, ce qui lui donnait des sabots d’une taille impressionnante, voire redoutable en cas de conflit ouvert. Mais c’était un pacifique, un brave homme d’équidé. Heureusement.

Il adorait cependant poser perpendiculairement ses pieds sur les miens et les incliner d’avant en arrière, comme pour se bercer. Je porte encore les séquelles de son jeu de balançoire.

Un jour, le pauvre animal resta prostré dans le coin le plus sombre de son box. Tête basse, il se regardait le ventre et n’essaya même pas de tenter une feinte vers la porte.

Je craignis aussitôt des coliques, mais non, tout semblait normal, les bruits, la souplesse, pas de manifestation de douleur au toucher.

De temps à autre, il se frottait le fourreau (qui est à peu près pour le cheval ce que le slip kangourou est à l’homme) de son large postérieur, comme s’il chassait une mouche. Une piqûre de taon, peut-être, sur cet endroit particulièrement sensible. Rien de grave.

Le lendemain, son état avait empiré et je m’aperçus que le lascar n’avait pas uriné depuis un bon moment. Il était vraiment mal en point et se frappait de plus belle le bas-ventre.

Le vétérinaire, accouru en urgence, posa le diagnostic : le goudron, ce lubrifiant nauséabond qui permet au pénis de coulisser dans son fourreau avait séché et le pauvre Foulkan ne pouvait plus le déplier pour uriner.

Il fallait à tout prix le sortir, sinon mon pauvre fugueur allait mourir empoisonné et la vessie éclatée.

Pendant deux semaines il fallut donc m’enduire le bras de vaseline pour l’introduire dans le fourreau, attraper le pénis et le sortir du fin fond de sa cachette. Ce qui, entre nous soit dit, nécessitait d’enfoncer le bras jusqu’au coude avant de rencontrer l’objet du délit.

Une fois extirpé avec d’infinies précautions, le membre viril (ou presque, car fort heureusement, Foulkan n’était pas un mâle entier, auquel cas je n’aurais jamais pu me laisser aller à de telles privautés) était consciencieusement tartiné et massé avec une pommade dont je ne me souviens plus de la composition.

Puis je devais le tenir jusqu’à ce que mon grand délinquant se soit soulagé, avant de l’aider à ranger ses petites affaires.

Foulkan n’aimait pas vraiment mes familiarités, même médicales, et me chassait parfois d’un coup de pied négligent, comme il l’aurait fait d’une mouche. Aussi doux que soit le mouvement, je prenais un revers de sabot en pleine tête et dus très vite me casquer.

J’avais 19 ans.

Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi chaque jour les spectateurs venaient plus nombreux assister aux soins de Foulkan. Je fus même étonnée de voir le nombre impressionnant des sympathisants à sa cause.

Les murmures rigolards se faisaient de plus en plus insistants, et les propos grivois commençaient à me parvenir. Je n’y avais tout d’abord pas prêté attention, trop focalisée sur la nécessité de sauver le malheureux patient pour accorder la moindre importance  aux bavardages extérieurs.

Je finis par les chasser d’un mouvement d’épaule pour reprendre mes massages attentifs, la guérison de Foulkan étant mon seul horizon.

Mon mépris pour ceux que la situation émoustillait ne fit que grandir et ne se démentit jamais. Nous n’avions décidément pas les mêmes centres d’intérêt.

Pas un seul d’entre eux ne serait venu m’aider, ne serait-ce qu’en apaisant le cheval qui acceptait de moins en moins mes gestes intrusifs au fur et à mesure qu’il guérissait.

Pas un seul n’aurait essayé de soigner l’animal qui souffrait le martyre.

C’est avec un regard triomphant que je les toisai le jour où Foulkan poussa la porte d’un coup d’épaule et s’éloigna tranquillement, sûr de son bon droit à l’escapade.

J’allai chercher, posément, le seau de zinc où je coulais un fond d’avoine, et partis sur ses traces en agitant l’anse.

Séverine L.

Tag(s) : #Autobiographie et Nature, #Textes de l'atelier, #Textes de participants, #Séverine L
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