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Six heures. Elle se lève. Elle asperge son visage d’eau froide, le lavabo est dans sa chambre, elle ne réveillera personne. La toilette est sommaire – ce qui se voit, ce qui sent, dit-on – elle a pris une douche la veille au soir. Elle enfile une paire de collants, un pull à col roulé qui descend bien bas pour lui tenir chaud au ventre, une deuxième paire de collants qui maintiendra le pull en place, sa minijupe et, par-dessus, un deuxième pull-over ample qui l’emmitoufle. C’est l’hiver, il fait froid, elle prendra le train de 7 h 02, elle doit donc partir de chez elle à 6 h 45. Elle ferme son lit, essuie proprement lavabo et robinetterie. Elle n’ouvre pas les volets pour ne pas faire de bruit. Chaussures à la main, elle quitte la chambre sur la pointe de ses collants. Elle descend l’escalier, fait bouillir un peu d’eau qu’elle verse sur le nescafé. Pas le temps d’attendre que cela refroidisse, elle passe le bol sous le robinet d’eau froide. Elle boit une gorgée avec méfiance, enfile une manche de manteau, boit une deuxième gorgée, fait glisser la deuxième manche sur l’autre bras, puis avale tout ce qui reste d’un trait avant de boutonner jusqu’au col le manteau trop fin pour la saison, trop fin pour 6 heures du matin en décembre. Cahiers assemblés par un large élastique en croix sous le bras, écharpe montée en cache-nez, elle tire derrière elle la lourde porte de la maison. Elle ne la claque pas, elle la tire tout doucement jusqu’à l’enclenchement presqu’inaudible du pêne de la serrure.  

Les réverbères éclairent parcimonieusement la rue brumeuse, humide. Entre deux réverbères, c’est encore la nuit. Peu de passants à cette heure-ci.  Elle hâte le pas, il est 6 h 55. Le visage gelé, elle finit le morceau de pain sec qu’elle a emporté. Enfin, la gare. Elle tamponne son billet pour le valider, le range soigneusement dans sa pochette transparente. Elle monte l’escalier en ciment noirâtre, le nez des marches est renforcé par une lame de métal. Sur le quai, vent glacial. Elle s’abrite derrière le mur de la salle d’attente. Elle n’y entrera pas ; elle a horreur des salles d’attente des gares de banlieue. Elles sentent mauvais, les fenêtres sont embuées, on y est prisonnier des autres passagers qui parlent trop fort.

Sept heures une, le train entre en gare. Il freine en couinant. A Saint-Lazare elle prendra l’autobus 21 ou le 27, jusqu’à la Sorbonne. A huit heures pile elle est fin prête, assise dans le grand amphi sur les inusables gradins en bois, toujours aussi durs, lustrés par les générations successives. Le professeur entre, elle prend son stylo.

Fredaine

Tag(s) : #Fredaine, #Textes de participants
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